ARTZ – 11.02.2025 – Article

Critique de l’emploi du terme de résilience

 

La résilience est un mot terriblement à la mode

La résilience a dépassé la sphère individuelle pour s’étendre aujourd’hui à de nombreux domaines, au monde de l’entreprise, et même à la société dans son entier. Dans mon enfance théorique, lorsque j’étais sur les bancs de la faculté de sociologie, j’avais un professeur qui avait l’habitude de dire la chose suivante : Lorsqu’un concept devient caoutchouteux, qu’il est de plus en plus employé par tous et qu’il a tendance à être généralisé à tout, c’est le signe qu’il s’est vidé de son sens et qu’il a cessé d’être un concept.

À mesure que le terme de résilience se répand, son sens initial est de plus en plus méconnu et dévoyé. Il convient dès lors de se poser la question suivante : de quoi parle-t-on lorsqu’on évoque la résilience aujourd’hui ? Qui et à quoi elle sert ?

Ce terme évoque, me semble-t-il, une injonction sociale diffuse, une sorte de devoir moral de s’adapter et de se comporter en héros face à toute forme d’adversité ou de malheur. Elle s’accompagne, bien souvent, d’une mise en scène de soi sur les réseaux sociaux qui, à bien la regarder pour ce qu’elle est, crée une sensation d’artifice et de malaise. Cette injonction s’accompagne d’une négation de la profondeur de la souffrance et de la rudesse des difficultés. Celles-ci culpabilisent désormais ceux qui les vivent et ne parviendraient pas à les dépasser. Comme si la chose était possible et que le terme de résilience, avec son vernis psychiatrique, servait à l’attester.

 

Le risque de la formation des aidants : apporter de l’espoir et un poids supplémentaire.

Depuis deux ans, l’association ARTZ étend ses formations aux aidants familiaux. À travers sa méthode et son savoir-faire, elle invite les proches de personnes atteintes d’une maladie neuroévolutive à découvrir les capacités cérébrales persistantes et l’étendue de leurs potentiels. L’objectif est d’apporter des connaissances et des outils qui permettent aux aidants de continuer d’être en lien avec leurs proches, de les stimuler et de créer pour eux une vie digne qui ait encore du sens et de la valeur.

En animant cette formation, à un moment donné, j’ai ressenti une sensation de malaise que je n’ai pas comprise tout de suite. J’évoquais l’étendue de la mémoire implicite malgré les troubles et détaillais la manière dont elle fonctionne. Si la plupart suivaient scrupuleusement mon propos, d’autres ont manifesté du désespoir, une incrédulité et une colère intense contre le manque d’aides.

C’était comme si, en énonçant de possibles adaptations, je culpabilisais mon auditoire et renforçais le poids de cette norme qui commande aujourd’hui aux aidants d’être des héros du quotidien.

« On me dit souvent que je suis forte. Mais parfois, je voudrais juste qu’on me dise que c’est normal d’être épuisée, que j’ai le droit d’avoir envie de tout arrêter ».

Avec les aidants nous avons évoqué ce que la résilience mal employée occulte : l’épuisement, la frustration, le sentiment d’échec, la culpabilité de ne pas faire plus ou de ne pas savoir faire mieux et ses moments difficiles à avouer où on craque et où l’on cesse de se comporter en adéquation avec ses propres valeurs.

 

Un bref retour au sens initial du concept.

Lorsque nous étions enfants, nous avons appris en classe les différentes figures de style. Je serais bien en peine aujourd’hui de les énoncer toutes mais l’une d’entre elles est précieuse pour comprendre le sens du concept de résilience. Il s’agit de l’oxymore. Cette figure de style désigne l’alliance de deux mots contraires. Corneille parlait d’une « obscure clarté », Hugo d’un « soleil noir », Camus d’un « silence assourdissante » et Boris Cyrulnik, l’auteur du concept de résilience, parle quant à lui d’un « merveilleux malheur ».

La résilience se place dans le contexte de l’enfance traumatique. Ce concept désigne le chemin d’épanouissement que l’individu trouve malgré les malheurs survenus au début de sa vie. Il ne parvient pas à le trouver parce qu’il est un héros, mais parce que les événements ont provoqué en lui un clivage du moi : une sorte d’oxymore intérieur entre le malheur extrême et la perspective d’une merveilleuse réussite. En lui, les deux cohabitent.

Bien sûr, il ne lui suffit pas de se cliver pour s’en sortir, il lui faudra un grand courage pour parvenir à s’adapter à la société ou à « réussir son parcours de vie ». Celui-ci ne suffira pas, il lui faudra aussi de l’étayage, un projet, des rencontres, du soutien et de l’aide sans lesquels rien ne sera possible. Boris Cyrulnik souligne que la plupart des enfants traumatisés ne s’en sortent pas.

Comme nous le voyons, le concept de résilience ne saurait décrire une norme sociale. Nous sommes face à un concept qui ne se prête pas à la généralisation dont il est l’objet. Nous pouvons nous demander à présent comment le fait de mieux le comprendre peut nous aider à être plus utiles.

 

En conclusion : Reconnaitre la souffrance pour apporter de l’espoir.

Au-delà des solutions que nous proposons en formation, celle-ci peut être un espace où les aidants peuvent se ressourcer et partager leur vécu loin de la pression sociale. La formation peut être ce temps suspendu où on peut prendre la mesure de l’ampleur de ses difficultés, de sa peine, de son épuisement et se demander quelle relation on a vraiment envie d’avoir avec son proche et comment y parvenir. Cela, peut-être, constitue la plus belle forme de soutien que l’on puisse offrir.

Ce n’est peut-être pas en occultant le malheur qu’on le dépasse, mais en le regardant et en le reconnaissant pour ce qu’il est. Chaque moment arraché à la maladie est précieux et c’est cela qu’on va aller chercher sans renier la fatigue écrasante et les nuits sans sommeil.

L’aidant a le droit de ne pas être toujours fort, de craquer, de demander de l’aide. Il n’est pas un héros infaillible. Prendre le temps de le lui dire simplement suffit à lui apporter du soulagement, un réconfort et à l’émouvoir parfois jusqu’aux larmes.

Cindy BAROTTE